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 Jean Rémy, Nietzsche et l'islam selon Iqbal

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AuteurMessage
Abdul Wahid
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Messages : 37
Date d'inscription : 06/05/2008

Jean Rémy, Nietzsche et l'islam selon Iqbal Empty
MessageSujet: Jean Rémy, Nietzsche et l'islam selon Iqbal   Jean Rémy, Nietzsche et l'islam selon Iqbal EmptyDim 1 Juin - 22:44

Comme le souligne Claudio Mutti, il existerait une affinité singu­lière entre certains aspects fondamen­taux de la pensée nietzschéenne et l'Islam. En lisant les œuvres de Mohammad Iqbal, cité abondam­ment dans cet article, on ne peut effectivement qu'être frappé par la convergence des objectifs spiri­tuels des deux hommes. Mais le lecteur peut s'étonner à juste titre de telles affirmations puisque Nietzsche rejetait Dieu comme personne ne l'avait fait avant lui avec autant d'énergie. Comment donc un croyant et un théoricien de l'Islam pouvait-il trouver en Nietzsche les signes d'une telle spiritualité qu'il en faisait un des saints de sa divine comédie, le “Javed Namah”?



Dans son dernier ouvrage, “Zarb é Kalim” (1937), Iqbal parlait de Nietzsche en tant que “Mahdi, (c'est à dire en tant que guide spirituel) qui, dans un style européen, avait vivifié sa patrie”. Il pensait donc que Nietzsche avait été un authentique prophète, lequel aurait échoué, parce que son milieu n'avait pas réagi à son expérience: “Cet Hallaj (un des plus grands mystiques musulmans (857-922), condamné à la potence comme hérétique) sans cadre et sans filet disait de nouveau et différemment des paroles an­ciennes. Ses paroles étaient audacieuses et ses pensées élevées. Les occidentaux furent coupés en deux par le glaive de ses discours. Il était ivre de Dieu, et on le prit pour un fou”.



Cet extraordinaire jugement d'un musulman sur Nietzsche nous met déjà sur la voie: Nietzsche comme tous les penseurs de l'Islam, parle d'un lieu foncièrement étranger au monde occidental moderne, ado­rateur de la raison, de l'utilité, de l'argent, et étranger à l'expérience mystique.



Iqbal voyait en lui un penseur qui s'exprimait autant par le cœur que par l'esprit: “Le cœur est, d'après le Coran, quelque chose qui voit, c'est une intuition intérieure qui, suivant l'expression de Jalal ud Din Roumi, se nourrit des ‘rayons du soleil’ et nous met en relation avec des aspects de la réalité autres que ceux qui s'offrent à la perception sensorielle” (tiré de Reconstruire la pensée religieuse de l'Islam, p.22). Or, Nietzsche n'a cessé de s'exprimer par aphorismes et de réfuter la dialectique.



Il existe dans les deux grandes religions abrahamiques que sont l'Islam et le Christianisme, outre la ré­vélation venue directement habiter un homme, au point d'en faire un dieu (pour le christianisme), toute une vue du monde et un stock de pensée, venue du fond des âges, et d'origine non sémitique, qui forme dans ces religions même le soubassement d'une conception de la vie et de l'univers différente de la vue du monde perçue par la révélation. Cette vue du monde repose sur une tradition immémoriale qui appa­raît fort bien chez Iqbal ou Jalal ud Din Roumi.



Voici à titre d'exemples un certain nombre de convergences frappantes:



1) Le refus de la dialectique.



L'approche du réel de Nietzsche est mystique. La réalité ne peut être perçue correctement qu'à travers l'expérience du cœur et non à travers la raison et la logique. Le but de la vie est de pouvoir percevoir cette réalité à travers l'expérience spirituelle de telle manière que cette expérience aboutisse à l'unité avec ce réel. Cette perception spirituelle est appelée “amour”. La connaissance est inhérente à cet amour-là: sans celui-ci, religion et morale deviennent formelles et mécaniques. Ces notions de base du mysticisme se perdent dans la nuit des temps: On la retrouve chez les penseurs grecs et indiens. A l'époque de Jalal ud Din, elles étaient courantes dans la civilisation musulmane.



2) Dieu.



La croyance en Dieu, dans les aspects auxquels il est présenté dans les écritures, n'est pas tellement important: on doit tendre vers Dieu même si l'on n'y croit pas, car la réalisation de Dieu passe par la réa­lisation du Soi. Il existe un fameux couplet de Roumi: “Sous les tours de sa majesté, il existe des hommes qui capturent les anges, les prophètes, et Dieu le tout puissant lui-même”. Expression reprise dans ce vers d'Iqbal: “O homme de courage, mets ton nez sur Dieu lui-même”. Pour Iqbal, il est plus ap­proprié de chercher le Soi parce que Dieu est en quête de l'homme véritable: le créateur a besoin de la créature. Cette descente en soi est nécessaire pour se réaliser pleinement afin de servir ses sem­blables et pour être un aide à la collectivité. “Notre essence est le miroir de la divinité, disait-il, et l'homme fait à l'image de Dieu appelle un compagnon: ‘Je suis le buisson ardent du Sinaï, mais où trou­ver Moïse? A qui suis-je destiné?’ (Payam é mashriq) Pour Nietzsche, le lecteur pourra se reporter au chapitre ‘le convalescent’ d'Ainsi parlait Zarathoustra”.



3) Le oui et le non à la vie.



Iqbal a vu dans l'usage de l'affirmation et la négation nietzschéenne en tant que fondement d'une nou­velle table des valeurs, une analogie profonde avec la kalima primordiale de l'Islam: “La ilâha ill'allah”. Pour Nietzsche, la valeur de la vie est un axiome fondamental. En revanche, la culture occidentale ju­déo-chrétienne est foncièrement négatrice, et mène au nihilisme. Le dualisme judéo-chrétien invente un autre monde pour nier celui-ci. La transmutation des valeurs consiste à remplacer le “non” par le “oui”, et cet affirmatif n'a de valeur que s'il suscite une domination des forces actives. Iqbal voyait dans cette tension existentielle de Nietzsche, la véritable signification de la formule de base du croyant musulman. Il disait: “Nietzsche s'arrêta au illa, il disparut sans avoir compris le sens de serviteur de Dieu”. Iqbal passait ainsi d'un signifiant usé à un signifié régénéré.



4) Le surhomme.



La transvaluation des valeurs de Nietzsche fut reprise par Iqbal dans le contexte islamique de la “seconde naissance”, qui réside dans le passage de la condition de créature (khaq) à la condition de participant à la création divine (amr). Il y a effectivement une concordance profonde entre l'homme su­périeur, créateur de lui-même et de valeurs supérieures, et le musulman véritable, mais là encore, c'est à travers une idée traditionnelle qui n'est pas particulièrement islamique, et qui se retrouve avec force dans le bouddhisme et dans l'hindouisme. Ceci débouche sur l'idée du surhomme nietzschéen et de sa correspondance islamique sous la forme de “insan al kamil”, notion soufie de l'homme complet, ou par­fait, entendue dans le sens islamique de “l'homme de Dieu” ou “le croyant parfait”.



5) Le Destin.



L'on connaît la position de Nietzsche sur l'amor fati, l'amour du destin qui permet de triompher à tout moment du pessimisme lié à l'éternel retour de l'identique, qui lui apparaissait comme l'essence du temps. Iqbal rejetait cette conception de l'éternel retour et l'assimilait au Qismat (le fatalisme absolu). Il partageait par contre avec Roumi une position très exceptionnelle en milieu islamique sur le destin: le taqdir était pour eux synonyme de karma, c'est à dire loi de la vie, loi impersonnelle de l'enchaînement des causes et des effets. Iqbal en particulier avait bien étudié la métaphysique iranienne pré-islamique. Il en avait retenu une conception du temps (Zervan) comme élément essentiel de la réalité ultime, qu'il avait reliée à l'expérience du Soi. Pour lui, le temps de l'Ego ultime (Dieu), de même nature et incluant le temps du Soi, se caractérise par le changement sans succession d'un tout organique dans un proces­sus de création continue. C'est cette création continue qui génère des mouvements et des change­ments donnant naissance au temps quantique. On voit là encore qu'à partir de conceptions fondamen­talement différentes et d'une certaine incompréhension de l'élève qui reçoit imparfaitement le message nietzschéen, les attitudes et les conceptions achevées de l'un et de l'autre sont effectivement ana­logues.



6) La critique du langage.



Iqbal et Nietzsche n'étaient pas prisonniers du sens littéral des mots: au-delà du sens littéral, ils al­laient chercher la racine, l'origine, l'archè, et n'utilisaient le langage qu'à ce niveau, notamment dans toute leur production poétique. Ce qui est à nos yeux un indice incontestable de leur prise de distance avec les prophètes des religions dites révélées, lesquels ont toujours repris à leur compte les fan­tasmes populaires et les représentations naïves du vrai et du faux, du bien et du mal, et qui donc croyaient en la nature dialectique, pédagogique et légiférante de la parole divine dans le langage de tous les jours. Iqbal s'est exprimé à ce sujet dans son ouvrage le Javed Namah. Le prophète Mohammad s'était lui même posé la question de savoir si une partie de son inspiration ne venait pas de Satan. D'où les fameux “versets sataniques” qu'il aurait fait supprimer du Coran. De même, Jésus a passé une partie de son existence à lutter contre Satan, à chasser les démons par des exorcismes, et donc à vivre dans une mentalité paranoïaque.



Ces prophètes étaient donc des hommes pour lesquels la relation au langage était opacifiée, comme pour le commun des mortels. Ils croyaient en l'au-delà comme en une transposition de leur propre vie.



Pour Iqbal comme pour Nietzsche, la révolte contre Dieu était une nécessité permettant de placer l'homme dans un état de constant éveil, inséparable d'une théorie et d'une expérience de la connais­sance qu'ils partageaient, et qu'ils tenaient de la tradition immémoriale de l'approche mystique du réel, commune aux religions les plus fondatrices de culture et de civilisation. Il n'existe donc aucun lien par­ticulier et singulier entre la pensée de Nietzsche et l'Islam.


Jean RÉMY.
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